A Monsieur
Monsieur Cousin
Professeur
à l’école normale
à
fr[ey].
Munic ce .
Monsieur,
Il m’a été bien agréable d’avoir de vos nouvelles; je Vous fais mon compliment de Vos succès politiques et de l’énergie, que Vous aussi semblez avoir développée à cette grande occasion. Je présume, que c’est dans l’exaltation, qui Vous en est restée, et tout plein encore de cette tactique politique, que Vous Vous êtes avisé, de me donner des regles et des conseils sur ma conduite politique; mais tout ceci est de fort peu d’application chez nous, ce n’est pas une lutte à mort, c’est une évolution lente, mais sûre, infaillible et surtout sans danger, par laquelle tout doit s’opérer chez nous, et quelques soient les voeux, que je puisse former pour la consolidation politique de l’Allemagne, non seulement mes idées, mais les circonstances même sont de nature, à n’imposer aucune necessité, de les cacher ou de voiler ses pensées. Tout ce que je pense à ce sujêt, peut être dit et sera dit publiquement aussitôt que je j’y serai amené. D’ailleurs tout ce qui ne peut pas se faire d’une manière droite, franche et loyale, est toutafait hors de mon charactère et je crois que Vous devez me connaitre à cet égard.
Pour sentir la grande difference, qu’il y a de la position où vous êtes, à celle, où nous nous trouvons, vous n’avez qu’a prendre Votre propre exemple. Chez nous aucun professeur, donnant un cours de droit politique, aurait à craindre l’autorité, à moins qu’il ne se départît pas de la ligne droite de la science. En forme de doctrine tout est accueilli chez nous, et ce qui n’est pas marqué au coin de la science, quelque apparence qu’il puisse se donner, est bientôt conculqué et foulé aux pieds par l’opinion publique, sans que le gouvernement ait besoin de s’en mêler. Voilà pourquoi le seul point, auquel presque l’entier de l’Allemagne est sensible, ce sont nos universités, vous avez dû voir dans les journaux, comme on en a usé à cet égard avec Mr. Stourdza. Ce sont des corps vraiment représentatifs, plus anciens et plus réels que tous ceux qu’on va établir, parce qu’ils réprésentent l’opinion nationale par excellence, les idées dominantes, les idées fondamentales et régulatrices de toute la vie humaine. Jugez après cela, si je pourrais être tenté de me faire élire deputé (quand même cela pourrait se faire), l’influence, que me donne la science, aussitôtque que je veux m’en servir, étant incomparablement plus vaste et allant bien plus au loin, que toute influence, qu’on pourrait exercer dans un corps réprésentatif quelconque.
J’applaudis à Votre résolution, de vous retirer de la politique (au moins pour un moment) et de vous vouer entièrement aux recherches philosophiques. Le fruit de ces recherches viendra sans doute trop tard pour pouvoir encore influer sur la marche politique de votre nation. Vous touchez dèja au but, que semblent s’être préposé les coryphées de doctrine politique en France, bientôt vous aurez démoli tout l’édifice et ôté jusqu’au dernier reste du poëtique ou romanesque, qui accompagne la monarchie. Qu’importe? Pensez toûjours, qu’avancé, comme vous êtes, devant peûtêtre la totalité de Vos compatriotes dans l’étude des idées fondamentales, votre mission est pour la science, que Vous avez à conquérir pour votre nation. Je serai bien charmé d’avoir de Vos lettres sur des matières de science et sur les problêmes, qui vous occupent; ecrivez-moi toûjours, puisque cela même vous servira, mais n’exigez pas, que je réponde toûjours exactement, puisqu’au point où vous êtes, on doit à l’intérêt de la science, de se garder même de toute influence, qu’on pourrait avoir sur la marche de vos idées. D’ailleurs je suis moi-même dans ce moment toutàfait enfoncé dans mon travail, je ne vois personne et ne m’occupe que de l’exécution de ce vaste plan scientifique, dont j’ai eu le plaisir de vous donner l’idée, et quelques notions principales.
Je me suis bien réjoui du portrait, que Vous m’avez fait de Mr. Goerres; je ne doute pas, qu’il ne soit bien ressemblable. Je ne sais pas précisement ce que je peux Vous avoir dit à l’égard de Mr. Goerres, tout ce dont je me souviens, est d’avoir souhaité, que M. G˖[oerres] entreprît un nouveau journal, qui fût pour la litterature ce que le Mercure avait été pour la politique.
Je vous salue avec affection et avec une amitié sincère –
Schelling.