Schelling

Schelling Nachlass-Edition


Chere Madame et Monsieur Schelling

je ne puis vous dire le plaisir que j’ai eu de recevoir de vos nouvelles de voir que vous vous occupez de moi et quoique absente que je suis quelquefois presente à votre pensée c’est une consolation quand on va dans un endroit où il faudra vivre de peines etre entourée d’objets rebutans de penser qu’il est un coin dans l’univers où des etres supérieurs distingués s’occupent de moi avec affection et me font pour ainsi dire justice de tous les torts qu’on me fait chez moi quel sort singulier de trouver de l’affection ailleurs que dans sa famille et ayant un coeur fait pour gouter ce bonheur d’en etre constamment privée – je vous ecrirai de chez moi comment j’y aurai ete recue quant-à Berlin je l'ai ete on ne peut mieux la Princesse de Lignitz la Duchesse de Cumberland m’ont accueillie non seulement avec bonte mais avec amitié et m’ont rendu bien agreable le sejour que j’y ai fait et que j’aurois volontiers prolongé ce sont deux epoques dans mon voyage celle-ci et le temps passé à Karlsbad dont vous m’avez rendu le souvenir precieux sans vous Karlsbad etoit deja effacé de ma memoire après vous y avoir quitté j’ai repandu des larmes je ne pleure jamais tant que je vois ceux que je vais le plus regretter – j’ai eu plusieurs fois le plaisir de parler de vous entre autres avec Mr Humbolt cette lettre que vous avez eu la bonté de m’envoyer pour Mr Martius ne l’a plus trouvé je n’ai plus trouvé que quelques rayons epars de ce foyer de lumieres qui s’etoit concentré à Berlin on pretend que le discours de Mr Humbolt qu’il m’a donné et que je n’ai pas encore eu le temps de lire est un chefd’oeuvre dans ce genre je suppose que vous l’avez deja lu et jugé – Mr Huffland qui est mon medecin et mon ami a approuvé pour moi les eaux de Karlsbad cette année mais l’ete qui vient il m’envoye à Egra J’ai un espoir vague en y allant de vous voir je vous ecrirai en tout cas l’epoque où j’y pourrai venir si toutefois je le puis car vous savez que mes volontés sont subordonnés à celles d’un etre inexorable qui compte pour rien ma vie quand cela contrarie sa volonté – mais n’en parlons pas il faut eloigner ces images les choses affligeantes suffisent il ne faut pas les etendre les prolonger jusque dans les intervalles ils sont si rares si courts il faut les degager de tout nuage et les laisser comme des points toutafait purs et lumineux le moment où j’ai fait votre conoissance formera un de ces points. je ne puis dire avec Schiller nur an einem Sterne weilt mit Liebe noch der Blick car j’ai encore un astre qui du haut du ciel preside à ma destinée à mes actions à mes pensées c’est cette soeur dont je vous ai parlé c’est un flambeau qui m’eclaire dans ce monde de tenebres et qui excepté pour mes gens n’a pas cessé d’exister – Cher Monsieur Schelling si vous avez l’occasion de m’envoyer un de vos ouvrages faites le moi parvenir quand je ne puis vous voir vous lire me sera un veritable plaisir cela me ranimera dans ma solitude où toutes mes facultés intellectuelles vont etre engourdies je dois presque les ensevelir pour me mettre a portée de ceux qui m’entourent – la vie seroit trop belle si les personnes qui sont oserai-je le dire de même espèce la passoient pres les uns des autres mais puisqu’il faut se soumettre à l’ordre des choses etabli il faut aumoins chercher des compensations dans cet art unique qui fait pour ainsi dire voler notre pensée d’un bout de la terre à l’autre et sans electricité nous comuniquer les sentimens les sensations d’un autre

Adieu chere Madame et Monsieur Schelling je me laisse aller au plaisir de vous ecrire et j'ai encore plusieurs lettres et qui seront longues à faire car elles ne me feront pas plaisir il est dix heures et demain a sept nous quittons Breslau dans quinze jours nous serons à Lemberg dans quinze autres chez nous si vous avez envie de voyager suivez nous au milieu des frimas d’une nature depouillée l’image de la desolation comme celle de l’etat de mon âme Adieu je demande au Ciel de vous combler de ses plus douces benedictions – J’embrasse tendrement vos enfans et toujours un peu plus ma chère Julie ce sont de ces foiblesses humaines car ses soeurs certainement la valent mais on ne sait pourquoi on prefère personne ne le sait ma fille est non seulement touchée mais fière de votre souvenir – J’espère qu’il ne faut pas vous demander excuse de ce que ma lettre est toute barbouillée ce sont mes pensées jettées dans leur premier desordre l’esprit ne les a pas encore rectifiées arrangées c’est comme cela que j’aime qu’on ecrive à ses amis –